Révision constitutionnelle : les tares de l’avant-projet : Un Sénat inutile, la partition engagée

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Sans nécessairement dénier toute avancée à l’avant-projet de loi portant révision de la Constitution du 25 février 1992, le constitutionnaliste Dr Brahima FOMBA a préféré dans cette contribution, se focaliser sur ses insuffisances, ses incohérences, et surtout sur les innombrables interrogations qu’il suscite. Comme il a eu à le soutenir dans notre parution n°1022 du 29 octobre 2018, Dr FOMBA considère toujours, au regard des tares de l’avant-projet de révision passé aux cribles que cette deuxième tentative est condamnée à un échec aussi lamentable que celle de 2017.

…Un Sénat inutile à la composition floue et d’inspiration anti démocratique

La création du Sénat et le bicamérisme qui en découle sont les modifications les plus agités par le gouvernement pour faire le lien avec les tentatives précédentes de révision dont celle du Président ATT. La propagande officielle a beau tenté de le dissimuler notamment en exhibant ces paternités, la création de la seconde chambre est sponsorisée par l’extrapolation de l’Accord d’Alger dont on a fait dire ce qu’on voulait bien entendre.

A titre de rappel, l’Accord d’Alger instruit à son article 6 de « réactiver et déligenter le processus de mise en place de la deuxième chambre du parlement sous la dénomination de Sénat, de Conseil de la Nation ou de toute autre appellation valorisante de sa nature et de son rôle, et en faire une institution dont les missions et la composition favorisent la promotion des objectifs du présent Accord ». Rien dans cette formulation ne s’oppose par exemple au maintien du Haut conseil des collectivités, dès lors qu’on peut parfaitement revoir ses missions et sa composition dans le sens d’une plus grande prise en compte des objectifs de l’Accord d’Alger.

Les préconisations de l’avant-projet de révision relatives au Sénat sont pour l’essentiel formulées à l’article 61(Nouveau). A l’analyse, cet article recèle des incohérences. D’un côté, l’alinéa 4 dispose que le Sénat assure la représentation des collectivités territoriales. Cette formulation laisse supposer que n’y siègent que les collectivités territoriales (communes, régions, cercles) à l’exclusion de toute autre représentation.

Or il se trouve qu’en même temps, l’alinéa 5 prend le contrepied de cette affirmation en annonçant que le Sénat assure la représentation des « Maliens établis à l’étranger, des autorités traditionnelles et coutumières, des personnalités ayant honoré le service de l’Etat ainsi que des femmes et des jeunes ». On notera au passage que les Maliens de l’extérieur sont privés du droit de revendiquer un statut de député.

L’avant-projet de révision créé deux catégories de sénateurs dont les trois quarts sont élus au scrutin indirect et le quart soumis aux caprices du Président de la République qui y désignera qui il voudra sans aucun encadrement juridique directement opéré par voie constitutionnelle. « Avec le Sénat, on élargit la race des parasites de la république », disait le Pr Luc M. Ibriga du Centre pour la Gouvernance Démocratique (CGD) du Burkina Faso.

En réalité, le Sénat se présente comme une seconde chambre fourre-tout, une sorte d’auberge espagnole tenue le Président de la République qui en fera sûrement un refuge pour sa clientèle en mal de recyclage et dont il ne sait plus quoi faire. Mais dans le fond, la représentation melting-pot du Sénat ne s’explique qu’au regard de l’article 6 de l’Accord d’Alger à son point relatif au Haut Conseil des Collectivités dont elle n’est que la copie édulcorée et qui préconise à court terme, son ouverture aux « représentant des notabilités traditionnelles, aux femmes et aux jeunes ».

Par ailleurs à son alinéa 6, l’article 61(Nouveau) entretient le flou quant à la composition du Sénat en ne précisant pas qui sont les « membres élus au suffrage universel direct » et les membres « nommés par décret du Président de la République ». L’article 63(Nouveau complète le tableau des dissonances juridiques du Sénat. Ainsi, la rédaction de son alinéa 3 laisse planer un doute sur la détermination par la loi relative aux circonscriptions électorales des « membres du Sénat élus au suffrage universel indirect ».

Au-delà de ces incohérences juridiques, il y a lieu de se demander pourquoi au moment où de nombreux pays africains qui l’ont expérimenté lui tournent le dos, le Mali vient s’accrocher à un bicamérisme superflu par la création d’un Sénat qui ne fera qu’alourdir et complexifier davantage une procédure législative techniquement déjà mal maîtrisée par un grand nombre de députés. Un Sénat qui apparaît de surcroît comme un luxe institutionnel, une doublure budgétivore à l’influence négligeable dans le processus de production législative et de contrôle de l’exécutif. Ceux qui sont à la manœuvre pour pousser le Mali à la création d’un Sénat inutile répondront-ils des dépenses exorbitantes nécessaires à son fonctionnement qui vont faire saigner à blanc le trésor public, surtout en ces périodes de vaches maigres ?

D’ailleurs comment ne pas se demander si le Président IBK lui-même est en phase avec les missions constitutionnelles des membres du Sénat qui, faut-il le souligner, ne peuvent nullement exercer une quelconque médiation de crise comme semblait le suggérer IBK lorsqu’il affirmait le 1er avril 2019 devant le président du Comité d’experts venu lui présenter l’avant-projet de loi constitutionnelle : « Les légitimités traditionnelles sont souvent sollicitées quand le besoin se fait sentir, mais dès qu’une affaire est réglée, on leur tourne le dos et on ne revient les voir qu’en cas de nouvelle crise ».

Il ressort ci que dans la tête du Président IBK, la fonction de stabilisation et de conciliation semble prévaloir sur les fonctions classiques d’une seconde chambre parlementaire que les « sénateurs coutumiers » seront appelés à exercer, c’est-à-dire la fabrication de la loi et le contrôle du gouvernement. Au regard de ces missions, le risque n’est-il pas évident de voir ces légitimités traditionnelles ne jouer qu’un rôle folklorique et devenir des faire-valoir ou des dindons d’une farce démocratique de mauvais goût ?

Nous suggérons dans ces conditions de valoriser la fonction de médiation des autorités traditionnelles à travers la refonte générale de l’institution du Médiateur de la République auprès de laquelle elles peuvent servir la République et non la desservir.

Par ailleurs, quelle est l’avancée démocratique réelle dans la configuration représentative d’un Sénat dont le quart des membres ne devront leur mandat législatif et de contrôle du gouvernement qu’à un simple décret de nomination du Président de la République ?

Le principe de la séparation des pouvoirs prévaut-il dans ces conditions où c’est le Président de la République membre de l’exécutif qui va nommer des représentants de l’organe législatif ?

Le Mali démocratique doit-il accepter de concurrencer en plein cœur du parlement, la légitimité démocratique fondée sur l’élection ?

Au-delà des réflexes nostalgiques d’un passé bien souvent enjolivé, a-t-on véritablement l’assurance que les problèmes de gouvernance au Mali vont se régler par le recyclage tous azimut au cœur des institutions républicaines, de survivances de légitimités traditionnelles pour la plupart défigurées par les pratiques corruptives et d’instrumentalisation des politiciens et qui n’ont souvent plus rien à voir avec leurs versions originales ?

Rien n’est moins sûr !

Des modifications qui préparent la partition du Mali !

Ces modifications rappellent tristement les articles scandaleux de la première mouture du projet de loi constitutionnelle de 2017 que les députés avaient sévèrement rejeté. Il s’agit en particulier de l’article 13(Nouveau), du nouvel article 98.2 et de l’article 81(Nouveau).

Les articles 13 (Nouveau) et 98.2 préfigurent un véritable projet sournois de dislocation du Mali que l’avant-projet de révision semble traiter comme une jungle sans solidarité entre les collectivités territoriales préoccupées chacune à se goinfrer des revenus des ressources minières de leurs terroirs.

C’est ainsi que l’article 13(Nouveau), alinéas 2 et 3 dispose : « Les ressources naturelles du sol et du sous-sol sont la propriété du peuple malien…. La loi détermine les modalités de la répartition des produits de leur exploitation entre l’Etat et les collectivités territoriales ».

De manière redondante, l’avant-projet reproduit quasi textuellement l’article 13(Nouveau) à l’alinéa 2 de son nouvel article 98.2 ainsi libellé : « L’Etat rétrocède aux collectivités territoriales concernées un pourcentage des revenus issus de l’exploitation, sur leur territoire, des ressources naturelles, selon les modalités fixées par la loi ».L’avant-projet de révision ne se soucie guère de la misère du budget d’Etat qu’il prive de la manne des revenus issus des ressources minières partagées avec les collectivités territoriales concernées dont il ne détiendra que la portion congrue.

Cette paupérisation de l’Etat est accentué par la concurrence qu’il va devoir supporter avec les collectivités territoriales en matière de création d’impôts et de taxes. L’article 98.2, alinéa 3 dispose à cet effet : « Les collectivités territoriales peuvent instituer sur leur territoire des impôts et taxes déterminées par la loi » Il faut rappeler qu’aux termes de l’article 70 de la Constitution, « la loi fixe les règles concernant… l’assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impôts ».

Ce qui signifie que la création d’impôt est de la compétence de l’Assemblée nationale, donc du domaine de la loi. La Constitution n’autorise que l’affectation aux collectivités territoriales ou la perception par elles de l’impôt créé par l’Etat. Alors que cette disposition de la Constitution n’a pas connu de changement, l’avant-projet de révision stipule que « les collectivités territoriales peuvent instituer sur leur territoire des impôts et taxes déterminées par la loi ».

Pourquoi les collectivités territoriales vont-elles de nouveau instituer sur les territoires des impôts et taxes déjà « déterminées par la loi » ? L’avant-projet reste pour le moins ambigu à ce sujet. Il donne l’impression que la création d’impôts et de taxes devient une compétence exercée concurremment par l’Etat et les collectivités territoriales. On peut déjà imaginer l’anarchie et le désordre fou que cela pourrait causer.

En ce qui concerne l’article 81(Nouveau) relatif au pouvoir judiciaire, il dispose à l’alinéa 2 : « Toutefois, l’Etat reconnaît les mécanismes traditionnels de règlement des litiges fondés sur les us et coutumes des différentes communautés dans les conditions définies par la loi ».

L’avant-projet reconnaît quasi explicitement que le pouvoir judiciaire ne s’exerce pas uniquement comme annoncé à l’alinéa 1er de l’article 81(Nouveau), par « la Cour suprême, la Cour constitutionnelle, la Haute cours de justice, la Cour des comptes, les cours d’appel et les tribunaux ». Le pouvoir judiciaire s’exercera également par « les mécanismes traditionnels de règlement des litiges » tenant lieu de juridictions parallèles.

Ce qui signifie que le système judiciaire moderne du Mali ne va plus se contenter comme c’est le cas actuel, de prendre en compte les us et coutumes en les intégrant dans le système national de justice, mais devra se voir concurrencé par les mécanismes traditionnels de règlement des litiges propres à « chaque communauté » du pays !

Autant dire que le pays aura autant de systèmes judiciaires parallèles que de « communautés » qui existent dans le pays, chacune se prévalent de son propre mécanisme de règlement des litiges fondé sur ses propres us et coutumes.

Combien restera-t-il de Maliens sans appartenance communautaire, sur lesquels le pouvoir judiciaire va s’exercer à travers « la Cour suprême, la Cour constitutionnelle, la Haute cours de justice, la Cour des comptes, les cours d’appel et les tribunaux » ? C’est totalement aberrant.

Voici un avant-projet de révision qui exhibe le « caractère unitaire » et « l’indivisibilité » du Mali et qui préconise en même temps des dispositions qui organisent la partition du pays. En vérité, les articles 13(Nouveau), 98.2 et 81(Nouveau) de l’avant-projet sonnent le glas du caractère unitaire et indivisible de l’Etat du Mali.

A cet égard, leur connexité incestueuse avec l’Accord d’Alger est évidente. Ils sont souvent bourrés d’incohérences du fait de leur malheureuse rédaction et ne sont en fait que des insertions maladroites des articles 8, 13 et 46 de l’Accord d’Alger.

L’article 8 dispose que les régions sont compétentes en matière « d’établissement et d’application d’impôts et de recettes propres sur la base de paramètre déterminées par l’Etat ».

L’article 13 plus explicite, précise que « chaque région jouit de la latitude de créer des impôts adaptés à sa structure économique et à ses objectifs de développement dans le cadre de la loi ».

On fera remarquer que l’Accord d’Alger ne vise que les collectivités territoriales de région. En constitutionnalisant ces dispositions élargies à toutes les catégories de collectivités territoriales, l’avant-projet de révision organise subrepticement la partition programmée du Mali en prenant le soin de l’emballer dans des anti phases de l’unité nationale qui, comme de la poudre aux yeux, ne visent en réalité qu’à divertir l’opinion.

Cette partition annoncée de manière à peine déguisée est assise sur la paupérisation généralisée de l’Etat organisée à travers la rétention par les « collectivités territoriales »- les régions du Nord en particuliers soi-disant riches en ressources minières- de mannes financières dont le budget d’Etat sera privé.

Quant à l’article 46 de l’Accord, il prône une réforme de la justice allant dans le sens de « l’intégration des dispositifs traditionnels et coutumiers » et en particulier la « revalorisation du rôle des cadis dans l’administration de la justice ». L’avant-projet de révision se fait ici le cheval de Troie peu flatteur des préconisations diaboliques qui sapent l’unité du pays.

Dr Brahima FOMBA

Université des Sciences Juridiques et Politiques de Bamako (USJP)

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